Portrait
L'équipe Cook rencontre le chef de cuisine Martin Thommen
Landgasthof Bären, Utzenstorf/BE
En quelque sorte, oui. Je n’aurais jamais pu envisager un autre métier.
Mon frère et ma sœur sont d’ailleurs aussi actifs dans le secteur. Pourtant, nos parents n’ont pas spécialement insisté pour que nous travaillions dans le domaine. Avant de commencer ma formation de cuisinier, ma mère pensait même que je pourrais m’essayer à d’autres métiers. Mais je ne voulais pas en entendre parler. Pour moi, c’était clair dès le début que cuisinier était le bon choix. Et ça n’a pas changé jusqu’à aujourd’hui. Le privilège de pouvoir exercer ma profession est un plaisir chaque jour renouvelé. D’autant que depuis que j’ai repris l’entreprise de mes parents, j’ai découvert de nouveaux aspects et d’autres tâches, par exemple être plus en contact avec les hôtes ou accompagner un banquet du début à la fin. ça ne rend le travail que plus passionnant.
Quelles sont selon vous les caractéristiques d’un cuisinier accompli?
Au début, la cuisine était ce qui comptait le plus pour moi. Je prenais exemple sur les chefs les plus doués, ceux qui travaillaient dans les grandes maisons. Ils incarnaient l’idée que je me faisais d’une belle carrière. Aujourd’hui, la signification du succès est toute différente pour moi: construire quelque chose soi-même, par ses propres moyens, sans aide extérieure ou le soutien de qui que ce soit a plus d’importance dans mes priorités que de me battre pour des étoiles et des points. Cela n’empêche évidemment pas qu’il existe dans le métier des modèles qui restent une source d’inspiration et permettent de s’orienter et de progresser personnellement.
En 2018, vous avez repris l’établissement de vos parents. Qu’est-ce qui a changé depuis lors?
Principalement ma vision des choses. Une entreprise doit être rentable, il faut s’assurer que les salaires et les factures soient payés en fin de mois. Je le savais déjà à l’époque où mes parents dirigeaient le restaurant, mais maintenant que c’est moi à la barre, j’en suis vraiment pleinement conscient.
…et quelles innovations avez-vous apportées?
J’ai grandi en lien avec cet endroit et ses traditions. Je connais les familles qui vivent ici et les préférences de nos hôtes, donc je peux introduire des changements, des idées ou des innovations bien dosés. Nous respectons le passé ainsi que la tradition à laquelle nous sommes liés, sans pour autant nous y tenir à tout crin. Nous avons ainsi réussi à combler le fossé entre tradition et innovation en proposant par exemple de bons vieux plats comme la tarte aux pommes ou une truite au bleu, mais aussi des sashimis de thon. Je pense qu’il ne faut pas nécessairement suivre toutes les modes. Quand on a une clientèle fidèle, on se fait rapidement une idée de ce qui fonctionne, des changements qui sont possibles et dans quelle mesure. En ville c’est plus compliqué. Il faut pratiquement changer de concept ou d’image tous les deux ou trois ans. À la campagne par contre, on se concentre plutôt sur ce que l’on a et on en prend soin. C’est un fait que chaque génération tente de créer du changement et de nouvelles perspectives. C’était comme ça pour mes parents et mes grands-parents, et ce sera la même chose pour ceux qui viendront après moi.
Le Bären est à la fois une taverne villageoise et un restaurant gastronomique avec 14 points au Gault&Millau. Comment gérez-vous ces deux casquettes?
Le plus important est de traiter tous les hôtes de la même manière. J’ai autant de plaisir à accueillir les habitants du village que les hôtes venus de plus loin ou de l’étranger. Le plus important, indépendamment de cela, c’est la fraîcheur de la cuisine qui caractérise tous nos plats. Nous avons des clients réguliers qui fréquentent le Bären depuis presque 40 ans ou encore ceux qui viennent chez nous trois à quatre fois par semaine sur le temps de midi.
Eh bien la préparation du plat du jour recevra exactement autant d’attention et proposera la même qualité qu’un menu gastronomique.
Quelle importance accordez-vous aux points Gault&Millau?
Incontestablement, ils apportent une certaine satisfaction à l’ego. Qui n’apprécie pas les compliments ou les honneurs? Il ne faut pas prendre tout cela trop au sérieux et rester plutôt focalisé sur l’activité quotidienne. Je serais bien sûr peiné si nous perdions un point ou si nous ne figurions plus au Guide Michelin. ((Mais les points et les étoiles ne sont pas une question de vie ou de mort.))
Vous êtes président des JRE - Jeunes Restaurateurs. Quels objectifs poursuivez-vous?
La JRE est une association de jeunes gastronomes. Elle s’est fixé pour but le maintien de l’héritage culinaire, l’échange et le développement d’idées, et nous partageons nos satisfactions et nos problèmes communs. L’association existe aussi dans d’autres pays européens du reste. Grâce à elle, les membres ont accès à un énorme réseau qui peut par exemple être très utile pour le placement de cuisiniers. J’en fais partie depuis dix ans et entre-temps, la JRE est devenue comme une deuxième famille pour moi, je suis très fier d’en occuper la fonction de président depuis trois ans.
En fait, j'aimerais perpétuer ce qui a été fait jusqu’ici tout en procédant à de légers ajustements dans ma cuisine, en suivant les tendances avec discernement. Une chose est claire toutefois, le kangourou ne sera jamais sur ma carte. Je préfère de loin miser davantage sur la saisonnalité et la régionalité, même si, au-delà d'une certaine taille d'entreprise et pour l'organisation de banquets, ce n'est pas toujours simple. Pour moi, le goût et la qualité sont les aspects primordiaux. Bien sûr, je privilégie les produits de la région. Cependant, pour des raisons de continuité, de qualité et de disponibilité, je ne veux pas me passer non plus de l'agneau de Nouvelle-Zélande. Je fais attention aux ressources, mais je suis aussi un entrepreneur. Voilà encore un équilibre à trouver.
Votre plus beau souvenir professionnel?
Il y en a beaucoup et je serais bien incapable d’en isoler un, car beaucoup d’événements sont aussi beaux les uns que les autres. Par exemple accompagner nos apprentis cuisiniers tout au long de leur formation, jusqu’au moment où ils passent leur examen final avec succès. J’ai alors le sentiment d’avoir contribué à leur réussite. J’éprouve aussi beaucoup de plaisir lorsque les jeunes cuisiniers restent fidèles à leur profession après leur apprentissage. Ou bien quand un hôte s’exclame qu’il n’a jamais aussi bien mangé que chez moi, ou encore quand j’ai l’occasion de servir et de faire la connaissance d’hôtes célèbres comme des membres du Conseil fédéral, la princesse de Jordanie ou encore le prince Charles. Enfin, lorsque je reçois un produit et que j’arrive à en faire quelque chose de bon.
Chez qui souhaiteriez-vous manger absolument au moins une fois?
Les adresses sont nombreuses et malheureusement, en tant que cuisinier, le temps me manque cruellement. Comme ça, spontanément, je diras chez Jan Hartwig de l’«Atelier», à l’hôtel Bayerischer Hof de Munich, ou bien chez Sergio Herman au restaurant The Jane, à Anvers. Je serais aussi curieux de pousser la porte d’un restaurant 3 étoiles à Hong Kong, Macao, Pékin ou Shanghai. L’intérêt majeur serait alors de découvrir des styles culinaires et des produits locaux moins connus. Et en tant que président de la JRE, j’aimerais évidemment beaucoup rendre visite à chacun des membres, mais pour cela le temps me fait tout simplement défaut.
Vous avez travaillé pour Oskar Marti, Horst Petermann, André Jäger et d’autres pointures de la gastronomie. En quoi cela vous a-t-il influencé et inspiré?
Oskar Marti, Chrüteroski, Münchenbuchsee:
«Chrüteroski» est ce qui pouvait arriver de mieux pour ma période d’apprentissage. Dans sa cuisine, absolument tout était fraîchement préparé. Aujourd’hui tout le monde en parle, alors qu’il y a 25 ans, les herbes aromatiques fraîches, régionales et de saison directement cueillies dans les bois étaient déjà indissociables de la cuisine d’Oskar Marti. Ce que le monde entier poste aujourd’hui sur les réseaux sociaux, j’ai eu l’occasion de l’expérimenter déjà pendant mon apprentissage. Oskar Marti était un précurseur.
Chez lui, j’ai aussi appris à travailler avec exactitude et précision.
André Jaeger, Fischerzunft, Schaffhouse:
Chez André Jaeger, j’ai découvert la cuisine asiatique et cuisiné avec des produits dont je n’avais jamais entendu parler et que l’on ne pouvait alors se procurer, au mieux, que dans un magasin asiatique. Après mon passage chez André Jaeger, je suis parti plusieurs fois en Asie. Les épices, les parfums, les herbes aromatiques ainsi que d’autres ingrédients exotiques incroyables me plaisent énormément et m’ont fortement marqué.
Horst Petermann, Petermann’s Kunststuben, Küsnacht:
Son amour du métier était unique. Il travaillait sans thermomètre et sans montre. Il cuisinait à l’instinct, avec beaucoup de passion. Une personne incroyablement chaleureuse et un artiste!
Ils m’ont tous les trois, chacun à leur façon, fortement influencé.
J’aimerais aussi citer Mario Gamba de l’Acquarello, à Munich. C’est avec lui que j’ai connu la vraie cuisine italienne, et c’est aussi grâce à lui que je sais tout ce qu’il faut savoir sur les raviolis. Je propose souvent ce genre de recettes sur ma carte. Les pâtes sont tout simplement géniales!
De quel produit ne pourriez-vous vous passer sous aucun prétexte en cuisine?
Le beurre – absolument indispensable.
Quel est votre endroit préféré au Bären, en dehors de la cuisine?
La salle Gaststube est le cœur battant de la maison. Au plafond, j’ai l’impression que les lambris vieux de 200 ans auraient beaucoup d’histoires à raconter. J’y ai moi-même vécu beaucoup de choses depuis tout petit, c’est aussi un peu mon coin à moi.
Landgasthof Bären
Hauptstrasse 18
3427 Utzenstorf
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